Buenos Aires et l’histoire méconnue des juifs d’Argentine

Buenos Aires et l’histoire méconnue des juifs d’Argentine

Nous vous invitons à découvrir l’histoire fascinante et souvent méconnue de la communauté juive de Buenos Aires, l’une des plus importantes au monde hors d’Israël. Cette présence significative a profondément marqué le paysage urbain, culturel et politique de l’Argentine. Au fil des décennies, cette communauté s’est construite une identité unique, entre préservation de ses traditions et intégration dans la société argentine.

Les origines de l’immigration juive en Argentine

L’histoire des juifs en Argentine commence véritablement en 1889 avec l’arrivée du navire Weser, transportant environ 1 000 juifs d’Europe de l’Est fuyant les pogroms. Ce moment marque le début d’une importante vague migratoire qui transformera durablement le pays. En quelques années seulement, la population juive passe de 1 500 à 10 000 personnes en 1895.

À la veille de la Première Guerre mondiale, cette communauté compte déjà 100 000 membres, pour atteindre plus de 200 000 dans les années 1920. Ces chiffres témoignent de l’attrait qu’exerçait alors l’Argentine sur les populations juives persécutées d’Europe.

La politique argentine de l’époque, résumée par la devise “Gobernar es poblar” (gouverner, c’est peupler), favorise cette immigration massive. La Constitution de 1853 garantit des droits égaux à tous les habitants sans distinction de nationalité, tandis que la loi Avellaneda de 1876 facilite l’installation des nouveaux arrivants.

Les immigrants juifs transitaient généralement par l’hôtel des Immigrants, un imposant bâtiment blanc situé près des quais. Certains rejoignaient les colonies agricoles fondées par le baron Maurice de Hirsch dans les provinces de Santa Fe et d’Entre Rios, comme Moisés Ville (Kiryat Moshe). Toutefois, la majorité préférait s’installer directement à Buenos Aires, où ils contribueront rapidement à façonner l’identité de certains quartiers.

Once, cœur battant de la vie juive portègne

Le quartier d’Once constitue le centre historique de la présence juive dans la capitale argentine. Au début du XXe siècle, cette zone concentrait près de 60% de la population juive de Buenos Aires. En parcourant ses rues animées, on découvre un riche patrimoine : synagogues, écoles juives, clubs sportifs, centres d’étude et restaurants casher.

Bien que la communauté se soit progressivement dispersée vers d’autres secteurs de la ville, Once conserve une importance symbolique majeure. Les enfants juifs de toute la métropole y sont souvent scolarisés, les familles continuent de fréquenter ses synagogues, et le public assiste régulièrement aux événements culturels qui s’y déroulent.

Cette présence juive se manifeste également dans la culture populaire argentine. Le cinéaste Daniel Burman, souvent comparé à Woody Allen, explore régulièrement l’identité juive dans ses films, utilisant Once comme décor privilégié. Son œuvre, dont le prochain film “Transmitzvah” sortira prochainement, témoigne de la vitalité et de la complexité de cette identité juive argentine.

Avec ses quelque 200 000 membres actuels, la communauté juive de Buenos Aires reste l’une des plus importantes au monde, comparable à celles de New York, Los Angeles ou Miami. Cette présence a profondément influencé la culture, l’économie et la politique du pays, créant une fusion unique entre traditions juives et culture argentine.

Traumatismes et résilience face à l’antisémitisme

L’histoire des juifs d’Argentine est malheureusement aussi marquée par l’antisémitisme. Dès les années 1910, et particulièrement après le coup d’État de 1930, se développe un antisémitisme mêlant catholicisme conservateur, nationalisme et anticommunisme. En 1935, face à cette montée des discriminations, est fondée la DAIA (Delegación de asociaciones israelitas argentinas) pour défendre les intérêts de la communauté.

La capture d’Adolf Eichmann à Buenos Aires par le Mossad en 1960 provoque une crise diplomatique et des représailles contre les juifs argentins. Durant la dictature militaire (1976-1983), ils sont surreprésentés parmi les 30 000 victimes de la répression, signe d’un antisémitisme institutionnalisé.

Mais le traumatisme le plus profond reste l’attentat contre l’AMIA (Association mutuelle israélite argentine) le 18 juillet 1994, qui fait 85 morts et 240 blessés. Cet événement, précédé de l’attentat contre l’ambassade d’Israël en 1992, constitue l’attaque antisémite la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale hors d’Israël.

Trente ans après, l’enquête reste irrésolue. En 2015, le procureur Alberto Nisman, qui s’apprêtait à présenter des accusations contre la présidente Cristina Kirchner concernant un pacte secret avec l’Iran, est retrouvé mort dans des circonstances mystérieuses. Récemment, le président Javier Milei a décidé d’ouvrir les archives nazis en Argentine, espérant apporter des révélations historiques inédites sur cette période trouble.

L’influence croissante dans la société argentine

Au fil des décennies, les juifs ont significativement contribué à la vie économique et culturelle de l’Argentine. D’abord concentrés dans l’artisanat et le commerce de vêtements, ils se sont progressivement tournés vers l’industrie puis les professions libérales. Dans les années 1980, 40% des hommes juifs appartenaient aux catégories socioprofessionnelles supérieures, une proportion bien au-dessus de la moyenne nationale.

Culturellement, leur impact est tout aussi important. Des figures comme Max Glucksmann, pionnier du cinéma argentin et premier éditeur de disques de tango, ou Ben Molar, producteur et compositeur emblématique, ont contribué à définir l’identité culturelle du pays.

Plus récemment, l’élection en 2023 du président Javier Milei, qui affiche une fascination pour le judaïsme malgré ses origines catholiques, illustre cette transformation. Le chef d’État ne cache pas son souhait de se convertir au judaïsme à l’issue de son mandat, symbole ultime de la place désormais centrale qu’occupent les juifs et leur culture dans la société argentine.

De marginalisés à acteurs centraux de l’État, les juifs d’Argentine ont parcouru un chemin remarquable. Aujourd’hui, plusieurs personnalités issues de cette communauté occupent des postes ministériels importants, non pas malgré leur judéité mais bien en tant que juifs, témoignant de l’évolution profonde de la société argentine et de sa relation avec cette communauté qui a tant contribué à façonner son identité contemporaine.

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